En Charente maritime, les citoyens s'organisent contre les pesticides
Dans la plaine d’Aunis, des taux alarmants de pesticides, un foyer épidémique de cancers infantiles et l’inaction du gouvernement ont poussé les citoyens à agir.
Montroy (Charente-Maritime), reportage
Stupeur en Charente-Maritime. Dans les villages de la plaine d’Aunis, à quelques kilomètres du littoral touristique, une étude atmosphérique a révélé cet été une pollution record. À Montroy, au milieu de la plaine, 41 molécules de synthèse différentes ont été retrouvées, et notamment un herbicide — nommé prosulfocarbe — à un taux encore jamais observé en France.
C’est sur cette terre céréalière, également territoire d’exode pour celles et ceux qui ne peuvent plus payer les loyers de La Rochelle, que Julie Méric a découvert ce nom barbare : « prosulfocarbe », et ces chiffres ahurissants rapportés par la presse. 268 nanogrammes par mètre cube ont été mesurés, sept fois plus que dans la Charente voisine, tandis que le précédent record, datant de 2018, était de 175 ng/m³ dans les Pays de la Loire.
La mère de famille est née et a grandi dans la région. « Ça a activé quelque chose de très fort en moi, se souvient-elle. Ça m’a donné envie de déménager. » Elle s’est tourné vers les réseaux sociaux, pour échanger avec d’autres riverains. Un groupe s’est formé sur Facebook. Il compte aujourd’hui plus de 800 personnes.
Baptisé Pour la fin du prosulfocarbe en plaine d’Aunis (PLFP), le collectif ne se veut pas anti-agriculteurs. Il espère au contraire encourager le dialogue, et d’ailleurs, sur Facebook, des cultivateurs répondent aux questions de citoyens inquiets. C’est l’un d’entre eux qui a eu l’idée d’analyser les potagers des riverains. Contrairement à l’air libre, où il n’y a aucune limite de pesticides à respecter, sur les légumes les taux ne doivent pas dépasser la limite maximale de résidus (LMR) [1].
Des cancérigènes dans les jardins
Une cagnotte citoyenne a été lancée et 1 700 euros récoltés. Ils ont servi à financer des analyses dans un laboratoire d’Angers. Des échantillons d’épinards, poireaux, choux verts et persils ont été prélevés dans sept jardins situés de 5 à 300 mètres des cultures. Sur un tiers d’entre eux, les doses d’herbicides retrouvées dépassaient les LMR autorisées. Sur des choux de Bruxelles, du chlortoluron, un herbicide cancérigène, a été retrouvé à une dose 1,5 fois supérieure à la LMR.
C’est pire dans le potager de Véronique, qu’elle appelait son « petit coin de paradis ». Entre deux parcelles agricoles, elle faisait pousser avec son mari des blettes, céleris, endives, citronnelle et citrons. Leurs poules côtoyaient autrefois des abeilles. Mais la ruche a été décimée deux fois. Le couple a suspecté les pesticides, et a décidé de participer à l’étude.
Sur leur persil, le niveau de prosulfocarbe détecté est quatre fois supérieur à la LMR. S’ils avaient eu une activité commerciale, ils auraient dû détruire leur production et la signaler à la Direction générale de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Véronique en fait des nuits blanches : « Depuis l’annonce des résultats, j’ai une énorme boule dans l’estomac et un gros nœud dans la gorge. » Elle qui essaye de vivre le plus sainement possible s’inquiète : « Je m’intoxique à petit feu, et j’ai intoxiqué mes enfants et mes amis en leur donnant mes fruits et légumes. »
Des taux record, une très forte volatilité, une famille chimique (les thiocarbamates) connue pour affecter les capacités cognitives et motrices des enfants, favoriser la maladie de Parkinson, les leucémies ou les maladies respiratoires : le prosulfocarbe a de quoi faire peur. Surtout que très peu de littérature scientifique a été écrite à son sujet.
Tous ont très vite compris que cet herbicide, utilisé à l’automne pour traiter le blé, n’est qu’une partie du problème : la plaine d’Aunis est infestée de pesticides. « Je pensais qu’on allait mettre la pression sur une seule molécule, résume Julie Méric. Mais le problème est systémique, le nœud est beaucoup plus difficile à défaire. »
Cocktails chimiques et cancers pédiatriques
Le 3 décembre 2022, l’hiver était arrivé mais il n’avait pas encore gelé sur la plaine. Aux pieds de la tour Saint-Nicolas, sur le port de La Rochelle, trois cents personnes étaient rassemblées. Lindane, Folpel, Fluopyram, Chlortoluron… Les noms des 41 molécules retrouvées dans l’air par le capteur de Montroy étaient affichés sur des panneaux blancs. Le collectif PLFP a rejoint d’autres associations pour une marche contre les pesticides. L’objectif : réclamer à l’État une sortie des pesticides d’ici cinq ans.
En tête de cortège, Franck Rinchet-Girollet, d’Avenir Santé Environnement. Cette association citoyenne cherche depuis des années les causes de la surincidence des cancers pédiatriques dans le village de Saint-Rogatien. En dix ans, une dizaine d’enfants ont été diagnostiqués sur la commune, quatre fois plus que la moyenne du département.
Franck a rejoint l’association en 2020, après le cancer de son fils de cinq ans. Les médecins qui le suivent ont voulu connaître l’environnement dans lequel vit la famille. « On ne trouvera peut-être jamais la cause exacte des cancers des enfants, mais à chaque fois qu’on trouve un facteur, il faut le combattre », dit Franck avec détermination. L’association cherche la réponse du côté des pesticides. C’est à sa demande qu’un capteur a été installé à Montroy, à 6 km de Saint-Rogatien.
Comme Julie, Franck s’inquiète de la présence simultanée de ces 41 molécules dans l’air et ailleurs. Du chlortoluron a été retrouvé en décembre 2020 dans le captage de Clavette. Du fosétyl, un fongicide utilisé pour traiter la vigne, a été détecté dans l’eau de la ville de La Rochelle. Comme PLFP, l’association n’attaque pas les agriculteurs, « qui achètent leurs produits de façon légale », répète Franck, et qui sont les premiers touchés par les effets dévastateurs des pesticides. « Mais comment peut-on autoriser que de tels produits soient mis sur le marché ? »
C’est ce que dénonce Laurence Huc, toxicologue et chercheuse à l’Inrae (Institut national de recherche sur l’agriculture et l’environnement), qui s’est penchée sur la situation de la plaine d’Aunis. Elle critique les normes sanitaires régissant l’usage des pesticides : « Les normes ne sont pas évaluées avec des mélanges réalistes. Elles ne prennent pas en compte l’effet cocktail. 41 molécules, c’est de très nombreuses combinaisons possibles, avec des effets combinés dont on ne peut plus prédire scientifiquement la dangerosité. »
Les normes n’évaluent pas non plus l’effet des perturbateurs endocriniens, qui, même à très faibles doses, peuvent avoir des conséquences à long terme. En 2021, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a publié une expertise concluant à un lien entre l’exposition aux pesticides pendant la grossesse et le risque d’apparition de cancers du sang et du cerveau chez l’enfant. Les pouvoirs publics sont donc au courant mais « se cachent derrière des normes qui ne protègent pas », dit la chercheuse.
Se battre contre un ennemi invisible
Les citoyens du collectif PLFP veulent désormais aller plus loin : élargir leur étude des potagers, rencontrer l’Agence régionale de santé, mais aussi relancer une étude de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur le prosulfocarbe, alors que l’Inrae doit rendre d’ici quelques semaines un rapport sur les alternatives non chimiques à cet herbicide.
La communauté de communes a demandé par deux fois un moratoire au prosulfocarbe, rejeté par le ministère de l’Agriculture. Elle vient de commander au Registre général des cancers un état des lieux des cas de cancers sur ses 28 communes. Tous restent dans la crainte de nouveaux résultats alarmants.
Article de Juliette Coulais pour Reporterre:
https://reporterre.net/En-Charente-Maritime-des-citoyens-s-organisent-contre-les-pesticides
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